Couleurs et thérapie

Le 02/03/2025 0

Dans Gestalt-thérapie

Depuis de nombreuses années, par goût personnel, je me suis intéressé aux couleurs. J'ai eu l'idée de les utiliser dans des ateliers thérapeutiques. Mes motivations étaient de bénéficier, et faire bénéficier, du plaisir qu'elles (me) procurent, et la curiosité de voir ce que je pouvais en tirer d'un point de vue thérapeutique. J'anime prochainement deux ateliers sur ce thème. J'ai eu envie d'en dire quelques mots.


 

Les couleurs : simples éléments de décor ?

Les couleurs font partie de notre quotidien, mais elles sont plus souvent des éléments des "fonds" de nos expériences. Cela tient à leur statut d'élément de décor. Mais sans décors, pas de spectacle, ou si peu. Quand elles sont associées à des situations présentes ou passées (nos souvenirs), elles le sont de manière très peu consciente, et dans le registre des ambiances, des adjectifs. Elles sont aussi souvent associées au spectacle, aux arts, à la décoration, ... et de cette manière, cantonnées à un rôle "culturel" que, rapidement, l'on juge pas aussi sérieux que les souffrances psychologiques et morales. Leur intérêt pour la thérapie, c'est à dire leur pouvoir instrumental et mobilisateur "en soi" peut, de ce fait, paraître faible. 
Mais c'est justement ce statut subtil d'élément de décor assez peu signifiant et pourtant reconnaissable qui les rend propres à un usage en psychothérapie. 

Elles ont un pouvoir évocateur protéiforme, qui les placent à la croisée de toutes les dimensions de l'expérience humaine et de l'histoire particulière de chacun de nous. Elles font appel aux sens, aux notions de temps (celui qui passe et celui que l'on vit) et d'espace, de formes et de textures, de culture sociale et de vécu personnel, aux croyances et aux souvenirs, au subjectif (des goûts, des sensations, ...) et à l'objectif (le manteau était rouge), au réel (la nature est verte) au symbolique (vert de rage), ... Leurs résonnances sont ainsi infinies, et pourtant elles sont ancrées en chacun dans des configurations spécifiques. Les représentations que l'on en apparaissent claires, et pourtant lorsque l'on cherche à s'en approcher, elles restent floues tant qu'une situation précise et réelle ne les rend pas "concrètes". 

Les couleurs ont encore d'autres propriétés remarquables : elles sont tout autant associées à ce qui se trouve dans l'environnement, qu'à ce qui vibre en nous, de manière plus ou moins forte. Elles peuvent donc autant jouer le rôle d'interfaces, que de soutien ou de compagne intérieure, que d'élément d'altérité. 
 

Une multitude de ressources pour la thérapie

Ce "talent" des couleurs est donc propice à des usages de catalyseur, de facilitateur, de déclencheur ou d'intégrateur. Elles facilitent la mobilisation corporelle, émotionnelle et mentale rapide grâce à leur ancrage commun dans la culture, les sens, les vécus, les significations. Elles fournissent des "prétextes" à la manifestation des processus adaptatifs (projection, introjection, ...) du fait de leur résonnance avec les vécus et les imaginaires propres à chacun. Elles énergétisent les expériences vécues et les prises de conscience dans le moment, ici et maintenant.

Lorsque l'on considère toutes ces multiples possibilités, on pourrait aisément voir les couleurs comme des fourre-tout, des collections d'expériences aussi faibles qu'imprécises. Là encore, on peut arguer que ce sont précisément des qualités essentielles à une exploration thérapeutique, notamment selon les principes de la Gestalt-thérapie. Ceux-ci envisagent les souffrances, les désirs, les besoins, les manques, ... comme les expériences de la personne qui "font figure" dans la vie de la personne, et donc dans la thérapie. C'est vers elles que tous les visages se tournent. La puissance de la démarche gestaltiste tient dans son obsession à explorer inlassablement les contextes dans lesquelles ces expériences se sont produites, et surtout ceux dans lesquels elles réapparaissent ici et maintenant. En effet, ce ne sont pas tant les figures qui marquent le vécu des personnes, que leur organisation avec les fonds de ces expériences. C'est là ce que nous appelons une Gestalt : une expérience particulière, rendue particulière car elle est vécue dans un contexte spécifique. Ce n'est pas un fait exceptionnel : notre vie est un enchaînement, parfois un enchevêtrement, de Gestalts. Mais une situation qui se répète est alors une figure figée, rigidifiée, crispée, car elle apparaît sur un fond qui est activement contrôlé de manière à ce que ce soit bien cette figure-là qui s'en détache. La "répétition" n'est donc pas tant celle de la figure que celle du fond qui la rend possible, repérable, reconnaissable et ... reproductible. 
 

Un accès facilité au probème et au changement

De quoi sont faits ces "fonds" ? Ils sont potentiellement faits ... de tout ce qui n'est pas dans la figure, dans la forme. En réalité, comme nous venons de le voir, ils sont faits de ce que la personne choisit de rassembler ou de repérer dans la situation, souvent à son insu, afinde pouvoir à coup sûr "reconnaître" la figure qui s'en détache. Ces éléments électifs sont des compositions faites de certaines sensations corporelles, des images et des croyances, des métaphores, des projets ou des programmes, des ambiances, des décors, des paroles, des attitudes ou des comportements, des parfums, des sons, ... des couleurs ... Leur caractère commun est celui de l'évidence : "évidemment, je suis tombée dans le piège ...", "évidemment, je n'ai pas pu faire autrement", "inévitablement, je suis en colère", ...

L'objectif de la thérapie est de permettre que ces fonds s'actualisent, retrouvent un caractère dynamique à partir des possibilités actuelles, contemporaines, des situations, et permettent l'émergence de figures nouvelles. Ce travail est parfois rapide, mais souvent très progressif, parfois extrêmement lent. Car le fond a une histoire : il est le résultat d'un travail, d'un façonnage patient et résilient, qui a visé à protéger tous les autres domaines de la vie de la personne, tout au long de sa vie, d'une contamination par la situation problématique. Dans cette perspective, une mobilisation salvatrice des ressources de la personne est une entreprise sérieuse et extrêmement sensible. 

Recourir à des médiations, suffisamment inoffensives et pourtant mobilisantes, est une stratégie propice à soutenir à la fois l'exploration de la situation problématique et à l'accueil des changements. La plasticité du medium, de l' "ustensile" est importante : il est à la fois quelque-chose et pas grand-chose, il est à la fois une réalité contingente et une opportunité, on s'en passe mais il nous manque, on le connaît et l'utilise, mais on peut s'en passer et utiliser autre chose, il peut être une fierté et un accessoire, il confronte mais on ne le craint pas, il se laisse faire mais résiste ... L'utilisation de mediums colorés vise ainsi ces objectifs d'exploration-actualisation, par le biais des expérimentations, en mobilisant des éléments constitutifs des fonds de ces expériences, avec suffisamment d'énergie mais aussi de possibilités, d'autorisations, d'ouvertures pour bousculer l'évidence, et envisager des réagencements.

C'est leurs propriétés, non pas de décor ou d'éléments décoratifs, mais de possibilités infinies de composition de décors, que nous utilisons.
 

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