Humanité et santé, humanisme

Le 05/06/2023 0

Dans C'est extra !

Est-ce le terme d'humanisme en psychothérapie a encore un sens ? C'est une question qui me préoccupe depuis plusieurs années. J'entends souvent (trop pour ne pas me paraître suspect) que "la Gestalt-thérapie est humaniste, elle" ! Comme une fin de non-recevoir, une protection contre "les autres", ou un argument si édifiant qu'il serait suffisant. Suffisant ? vous reprendrez bien un peu de ... suffisance ?

Donc, c'est d'humanisme que je souhaite discuter aujourd'hui. Je préviens que c'est une quête, et que je ne souhaite pas être définitif ici. Mon questionnement part d'un étonnement inconfortable. J'ai répété souvent que je pratiquais une psychothérapie humaniste. Sans jamais me préoccuper de ce que cela signifie réellement. Je participe aussi à des travaux portés par des associations et des fédérations professionnelles qui revendiquent la perspective humaniste. A part créer une ambiance de satisfecit, je ne voyais pas la valeur de l'argument. Alors je me suis renseigné.

Je me suis d'abord intéressé à l'histoire de l'humanisme. Elle fait surtout référence à plusieurs moments de l'histoire intellectuelle et culturelle européenne, à commencer par celle de la Renaissance. L'histoire du terme "humanisme" et les postures philosophiques que portent la notion est invraisemblablement contradictoire ! De l'attitude philanthropique à l'universalisme, on y trouve beaucoup de choses. Ce qui m'a particulièrement marqué est l'intensité de la critique qui est faire à ce concept : l'homme au centre de toutes choses, et pour le bien de l'humanité, est un concept prodigieusement agressif pour l'environnement et le genre humain lui-même. La christianisation des peuples conquis, la dégradation de l'environnement, les génocides, ... 

Première prise de conscience : j'ai bien fait de m'intéresser à ce sujet, parce que les raccourcis satisfaisants ont vite du plomb dans l'aile ! La controverse est puissante. Des allégations telles que "c'est la relation qui soigne!" et "nous, nous sommes humanistes!" prêtent franchement à rire. Jaune. Si nous voulons nous construire rageusement une image de charlatans, continuons comme ça.

Ensuite, j'ai bien compris que l'humanisme qui me concerne en tant que thérapeute, est bien particulier, et il a une histoire propre. Cette histoire nait dans les années 50 avec l'émergence de courants de pensée et de pratiques cliniques qui ouvrent une voie entre psychanalyse et comportementalisme. Une quatrième perspective se forme ensuite par les approches systémiques. Une cinquième est en fort développement actuellement, portée par les démarches dites "intégratives" ou "éclectiques" (ce dernier terme me fait toujours bondir...). Je suis encore en train d'approfondir ma compréhension des épistémologies de ces orientations. Je pense que j'en ai pour longtemps.

Christinas World, peinture de Andrew WYETH, 1948, MOMA

Christina's world, peinture de l'Américain Andrew WYETH (1948, Moma à New York)

Seconde prise de conscience : l'humanisme en thérapie n'est pas un thème de gloriole (je m'en doutais, mais maintenant c'est plus claire). C'est un positionnement épistémologique spécifique, que nous nous devons de maîtriser dans ses concepts, ses pratiques et son éthique. Elle semble profondément ancrée dans une perspective chère à Georges Canguilhem, celle du client en tant que sujet de sa propre vie. La Gestalt-thérapie apporterait une perspective supplémentaire en centrant l'intervention à partir et au profit de la dyade client/thérapeute, et non pas au seul profit du client, certes regarni de sa subjectivité propre, mais qui resterait "en face du thérapeute".  Reste encore a démontrer que la Gestalt-thérapie serait là encore originale. Elle l'a peut-être été, mais la lecture de nombreux articles de recherche souligne que bien d'autres modalités ont depuis longtemps intégrés cette perspective. L'intérêt maintenant est de détailler les similitudes et les différences, au profit de l'enrichissement mutuel, et de l'amélioration de ma clinique. 

Je suis certain que les "anciens", souvent de grands cliniciens, tomberont de leur chaise devant ces mignonnes prises de conscience. Les psychologues cliniciens actuels également. Tant pis. Je revendique le droit de ne pas savoir, et de m'y intéresser sérieusement aujourd'hui. Au moins, je pars d'un vrai besoin clinique, personnel et professionnel.

Je tiens à signaler une formation en ligne ouverte à toutes et tous, gratuite, proposée par la plate-forme Fun-Mooc (universités françaises) sur le thème "Humanités en santé : le soin, des sciences humaines et sociales à l'éthique médicale", proposée par le CNAM, et coorganisée par Catherine FLEURY. Les paragraphes de présentation sont particulièrement intéressants dans le contexte actuel de la médecine fondée sur la preuve, préoccupée de compétences techniques et technologiques, au détriment de la relation à des sujets dont l'histoire est fondamentale au diagnostique, à l'intervention et à l'éthique.

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